BULLETIN

ORANGE EXPORT LTD

Publié par Raquel, au 52 Av. Pierre Brossolette à Malakoff (92240)

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Sponte sua forte _________________________ LUCR.
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Novembre 1977 ___________________________________ N° 10

 

LE CHEMIN DES AMOUREUX... 1

 

Il existait alors une rue de ce nom. Comme il arrive souvent des lieux que l'on a beaucoup fréquentés, leur nom finit par ne plus être entendu tant il fait corps avec le lieu lui-même, à la manière d'un vêtement et de son corps.

Pour le Chemin des Amoureux cette osmose ne s'est faite qu'à moitié. Le lieu, il est vrai, s'y prêtait mal. Bien que ce fût une vraie rue, large et bien entretenue, elle reliait entre eux deux quartiers tellement étrangers l'un à l'autre qu'elle n'était empruntée que par de rares automobilistes. Elle était d'autant moins fréquentée que c'était une rue sans maisons, longée d'un côté par un vaste terrain vague toujours vert et ombragé, bordée de l'autre, sur toute sa longueur, par la plus formidable haie épineuse jamais vue. Ces épines, de couleur grise, étaient longues et extrêmement dures. On pouvait en utiliser la pointe comme aiguilles de phonographe, ce qui permettait d'épargner aux disques l'usure des aiguilles de fer. Il arriva qu'à une certaine époque j'aie beaucoup emprunté le Chemin des Amoureux, quand, à la sortie du lycée, je rentrais par là après avoir longuement raccompagné une amie. Il n'est pas impossible que ces circonstances restent liées au souvenir particulier que je garde de cette traverse, puisque, contrairement à tant d'autres rues dont j'ai oublié jusqu'au nom, celle-là continue d'éveiller de loin en loin un peu de nostalgie comme pour un récit inachevé.

Emmanuel Hocquard

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1 Le Chemin des Amoureux..., collection dirigée par Raquel. Parus :
1. Franck Venaille, Noire Barricadenplein (avec une vignette de Jacques Monory);
2. Pierre Rottenberg, K.N. (avec une vignette de Joël Kermarrec).

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« NOUS N'Y SOMMES PAS... » 1

« l'excès du corps : il disparaît » : dès la première ligne d'Objet, Anne-Marie Albiach dit le paradoxe « mouvant » de l'écriture : soit un corps de peu de présence qui donc se tait (se dit le mutisme du corps, le fait qu'il est déjeté de l'autre côté – dans le monde ? –), soit un corps de trop de présence, accablant qui, écrasant la main sur le papier, s'absente de ce qu'il devient, à proprement parler, l'outil d'écriture (fragment maternel).

Autrement dit : pour qui écrit le corps n'est jamais « propre », il est « délié » d'avec les doigts qui tracent ; il y a syncope. Alors – Parlons d'autre chose ? Non. Car ce que dit Objet est le rapport à un corps en hypostase, à un corps rhétorique, à un corps de grammaire (y a-t-il un autre corps dans la langue que celui de nos grammaires ?) ; « l'absence de l'objet mène à son détour », oui, nous détourons le corps, l'allégeant des vêtements, des linges et du sang : pour cela, dans l'écriture, le corps est nuée, nuage, condensation en aplat ; d'où la mandrôle du texte, la litre noircissant le bord (et qui fait bord) : « le texte se lit dans la désignation de la main ».

« son corps    de la disparition
prenant parole ; »

De même que dans « la peinture » le corps est ce qui ne parle pas, son « langage » est interprétable comme l'anté d'un récit : un corps qui n'aurait pas lieu (pas encore) en miroir, pris dans l'apocope ou la « césure » comme dit Anne-Marie Albiach. Et « l'objet en miroir » est l'objet fermé dont nous faisons le tour, répétant

« répétition
le corps porte le blanc de la fiction qui le divise »

Selon le mythe de Narcisse « se connaître » est fatal, d'autant que Celle qui pourrait faire savoir à Narcisse que le visage « dans l'eau » est sien, celle qui pourrait fabriquer le propre est condamnée à réitérer la fin de nos mots : Écho est la femme en « nous » qui renvoie notre texte que nous entendons comme celui de l'autre : Nous y sommes peu dans les livres : « Objet » est désir de la main qui écrit qui de ne pouvoir se saisir – de quoi ? – nous voue à un « labeur liquide » dont le « savoir » est ce (peu de chose) qui fait que le corps, dans la peinture comme dans l'écriture, est une dépouille.

Mathieu Bénézet

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1 Anne-Marie Albiach, Objet, collection Figure, Orange Export Ltd., 1977.

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PHRASE 1

_____« cette lente catastrophe
ou cet exode, plutôt, qu'à peu près nous sommes. »

La phrase tend une tresse : celle de son réel, d'un avant-réel, ou de sa fiction : détournement d'un corps intérieur, c'est-à-dire habité ou hanté par son pas et sa cadence. Et peut-être le savoir d'une perte incompensable, répétée, conduit dans le théâtre de quiconque écrit des fictions menues, autrement : démesurées.

Le texte retient donc un objet à la fois trop grand et trop petit : le souvenir qu'un corps se détourne, un dos échelonné sur un horizon. Corps désormais, sur tel lointain, à la fois sorte de Béatrice et dictio verbi – un second monologue, une diction continue et qui ne cesse d'accréditer le corps de sa fiction. vera incessu patuit dea : à son pas, ce qu'elle est, s'ouvre : comme déesse. La main n'écrit donc qu'en retenant son pas. N'en dessine pas le corps entier.

L'autre figure : tel rideau au visage est le larvatus decedo du texte sur l'imagination de son objet antique ; n'avance pas, recule sous ce masque – fiction d'une moindre antériorité du réel lors qu'il s'écrit : il y a donc Harpocrate un doigt sur les lèvres, une Béatrice improbable, un masque. Je repense, un petit masque tenu à la main dans le carnaval vénitien pour avertir : ut pateretur, qu'il fût manifeste larvatum fuisse, qu'un tel était masqué. La nudité est au prix d'un masque. Que cache ?

Une phrase anticipe ceci : un texte est finalement sans tissu. Laisse quelques éclats.

Ce masque importable, cette effigie tenue comme un éventail est donc la seconde figure que tient l'homme historique marchant en nous, comme un sceptre. C'est partout comme une ombre Harpocrate le doigt sur les lèvres.

Que le silence fût fait (ut taceretur) sur ceci par le disant. Ce n'est donc pas dans ce masque porté en main gauche, dans ce port illégitimé, fantasque, baroque, le larvatus prodeo de la littérature. C'est aussi pourquoi le petit masque harpocratique des acteurs historique est le dérisoire paratonnerre prévenant un retour d'antiquité, de mutisme : c'est l'hiéroglyphe atrophié que tient le corps parlant (l'enfant dans la main du corps adulte : s'il tonne, se remasque).

Mais écrire c'est très vite tenir l'étrange registre obituaire. Et tenir le registre paradoxal : n'inscrit jamais qu'un seul corps, quand même le nom ne cesse de changer. Cette pression-là est celle d'un avant-corps dans l'écriture (Joubert). Celle aussi d'une fiction qui travaille cette même écriture sur un objet impossible, inclassable – où elle commence – et dont il est seulement sûr qu'il exige d'être défunt. Un horizon qu'on s'épuiserait à dire tel.

Jean-Louis Schefer

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1 Philippe Lacoue-Labarthe/Raquel, Phrase, collection Chutes, OrangeExport Ltd., 1977.

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ORANGE EXPORT LTD. PUBLIE UN LIVRE DE CLAUDE ROYET-JOURNOUD

par Gérard-Julien Salvy


 

 

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